« J’avais peur de ne pas savoir parler des photos de Delphine Warin parce que je les avais vécues si l’on peut dire, avant, pendant et même après – mais je me rends compte que je les aime non pas parce que je les reconnais, mais parce qu’elles me surprennent – il ne s’agit pas de Mississipi One – c’est un autre film, ce n’est plus le mien – les rôles sont changés, c’est elle qui nous regarde, elle qui nous guette, qui nous vole, et le mieux c’est que nous ne le savons pas et que cela se voit.
Moi je suis obsédée, ailleurs entre les fils – Etienne l’opérateur est encore plus seul devant la toile tendue – Bernard l’ingénieur du son, plus enfermé dehors au coin de la rue – Jeannot vole en poussant le chariot et Aimé le magicien se perd dans les confettis.
C’est l’envers du décor – hors contexte et en silence, je m’aperçois que le tigre est plus violent quand il crie, la voiture plus tragique quand elle est bâchée – le cheval plus insolite quand on ne voit que son œil et puis dans le téléviseur où il y a déjà le mystère étrange de l’image dans l’image, j’aime qu’une main anonyme cache un autre visage, et ce sont tous ces instants figés à jamais qui restent dans ma mémoire impressionnés au sens propre par le regard d’une autre – et je suis reconnaissante d’avoir vu ce qui n’était pas prévu – et de me l’avoir montré et je me dis quel beau métier que la photographie, et comme il est infini puisque chaque regard en la faisant sienne la fait autre ... »
Sarah Moon