PORTRAITS

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Zanzibar Built Heritage Job Creation
Stone Town a heritage to save
145
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Backstage
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Les Enfants masqués
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La peau de l'homme
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Les yeux grands ouverts
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Todos somos especiales
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Le rire médecin
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Love is in the air
Le MIM Magazine by La Mamounia 4
107
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Musée Yves Saint Laurent Marrakech
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Maison ARTC
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Vegetal
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DECO

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MODE

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PERSO

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83

 

Un tigre en cage, un chapiteau rayé, une dame à lunettes rondes et chapeau cloche postée derrière une caméra, moments volés d’un tournage, celui du film Mississipi one de Sarah Moon. Delphine Warin pratique la photo depuis quelques années déjà.

Elle a appris les règles de l’art à New-York, en suivant les cours du célèbre International Center of Photography (ICP). De retour à Paris, elle est devenue l’assistante de Sarah Moon, apprenant à suivre l’envol des pluies de confettis et le roulis des cerceaux d‘enfants.

Ses photos de plateau sont pleines de vide et d’inquiétude, de trottoirs déserts et de pare-brise en miettes, d’opérateurs affairés sous des ciels sans tain.

Après Mississipi one, il y eut Circuss, un autre film de Sarah Moon. Une autre série de photos de plateau placées sous le signe du noir et blanc et du rêve éveillé.

Le tournage d’un film est une histoire qui se décompte précieusement en heure, en minutes, en secondes. Le temps n’est pas l’adversaire du photographe, il en est son complice. Une photo se prend en un quart de seconde mais se mûrit longuement.

Photographe de plateau, documentariste, portraitiste, Delphine Warin sait apprivoiser le temps. Postée derrière son appareil, elle attend. Quoi ? Que les regards s’apaisent, que les corps se détendent, qu’une histoire naisse.

La première histoire qu’elle a racontée était une histoire de travesti. Ce n’était plus du cinéma mais il y était encore question de maquillage et de rôle à endosser. Puis vint l’histoire des projectionnistes. Ces hommes, qui délivrent des bobines de rêve à raison de 24 images secondes. Elle les a saisis dans leur cabine de projection, faiseurs de lumière tapis dans l’obscurité. Vinrent ensuite les acteurs, photographiés pour Le Monde, l’Express ou Libération. Jean-Pierre Bacri, mal rasé, en ogre bourru. Yolande Moreau, virevoltante, les yeux écarquillés par le désir de vivre et de comprendre, Isabelle Carré, évanescente, sensuelle et timide. Jeux de rôle là encore sous l’oeil d’une photographe qui semble respirer à l’unisson de ses modèles.

Prendre une image, rendre un regard, enrouler la pellicule sur une complicité de circonstance, rien n’est plus simple, rien n’est plus ardu.

Delphine Warin aime parfois compliquer les choses : elle a fait le portrait d’enfants masqués, de mères aveugles. Comment photographier l’absence de regard ? Comment rendre visible ce qui se dérobe ? Difficile pari pour une photographe qui doit alors capter la lumière intérieure des êtres, ce qu’on appelle l’aura. Les enfants masqués vibrent à l’image, occupent tout l’espace, droits comme des sapins de Noël, grandis par l’expérience du « je est un autre ». Les mères aveugles sont tout en courbes et ploiement. Leurs mains sont leurs yeux, elles caressent leur enfant et disent du bout des doigts ce que leurs pupilles aveugles ne peuvent exprimer. Cadrés au plus juste, les mères et leurs enfants figurent un absolu de la maternité, symbiose animale des corps et des odeurs traduite par des photos tactiles, quasi organiques.

Dans une autre série, intitulée « Liens », Delphine Warin photographie des couples d’amis, d’amants, et c’est encore une histoire de contact, de proximité, d’échange de fluide qui transpire de l’image, lui fait un voile de douceur.

Delphine Warin recourt fréquemment au polaroid, cette photographie qu’il faut effeuiller

pour qu’elle se révèle. Emulsion, effusion, le velours du polaroid est une caresse en soi,

une buée à fleur de peau. Les gris y sont infinis, ils tiennent la note, se déploient en gammes,

en trésors de sentiments qui débordent le cadre.

Delphine Warin pratique la photo comme une main tendue.

 

On retrouve cette sensibilité dans la dernière série de la photographe, intitulée « La peau de l’homme ». Elle est consacrée à un thème peu commun : la cérémonie du rasage chez le barbier. Pendant deux ans, Delphine Warin, qui vit entre le Maroc et la France, se rend très régulièrement au souk d’Aït Ourir, à 40 km de Marrakech.  La foule y est grouillante, essentiellement masculine. Dans la société arabe, où les hommes sont habitués à garder le contrôle, rares sont les lieux où ils peuvent retirer leur carapace sociale. L’échoppe du barbier figure un espace à part pourtant,  un enclos où les hommes s’abandonnent entre des mains expertes et opèrent un rite ancestral, dans le silence ou la palabre chuchotante. Moment précieux, intemporel, presque « sacré ».

Liant une relation privilégiée avec Hassan, un des barbiers du souk,  Delphine Warin est parvenue à s’immerger dans ce monde d’hommes et à produire des images étonnantes d’intimité. Beau défi pour une femme, qui plus est occidentale… Les gestes du barbier sont précis, protecteurs, les mains enveloppantes et presque maternelles. Yeux mis clos, les visages des hommes s’offrent sans fausse pudeur, mis à nu par la photographe qui semble les caresser du regard. Au fil des jours, des séances et des rencontres, Delphine Warin a perçu, derrière le grain de la peau, derrière le paysage des rides, derrière le masque social,  la vulnérabilité de ces hommes, révélant une profondeur d’être, des mondes intérieurs, des failles parfois.  Une puissante émotion nait de ces images à fleur de peau qui font écho à la fameuse phrase de Paul Valery :  «  Ce qu’il y a de plus profond en l’homme, c’est la peau ».

 

Natacha Wolinski