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La peinture de Michaël Weston ne rentre dans aucune des rubriques fabriquées par l’art contemporain, pourtant il s’y inscrit comme par effraction. Ce n’est pas faute d’en fréquenter les acteurs, mais il les côtoie avec détachement et humour sans jamais s’y pousser.

Il y a des peintres, dont je suis, qui s’acharnent obstinément dans l’atelier, espérant, à force de travail, que la muse éclaire le tableau. Michaël Weston n’est pas de ceux-là, il trouve tous les prétextes pour s’empêcher de peindre et c’est quand il a tout épuisé des contraintes existentielles qu’il s’y cogne avec la volonté, à chaque fois recommencée, d’en finir une fois pour toutes par quelques gestes brossés. Cela donne à ses tableaux le sentiment de la fin de la route si usée de la peinture. Il n’en reste que les traces.

Au-delà, l’on ne pourra aller qu’au risque de sa disparition. Il y a du Molloy dans Weston. Un sérieux terrible et un humour dévastateur. L’un compensant l’autre dans un équilibre instable aux limites de la catastrophe et de la dérision.

Weston peint des visages de face, anonymes et pourtant présents, cela ressemble à n’importe qui mais chacun peut s’y reconnaître. Il donne aussi dans le poisson mort, comme Le Hareng saur de Charles Cros, qui n’a plus que l’arête sous la chair. Il nous offre aussi des fleurs fanées depuis si longtemps qu’elles en sont pétrifiées. Et puis des paysages éclairs, révélés comme du bout du doigt sur la buée de la vitre du TGV. Mais il y a surtout des signes emmêlés, presque indéchiffrables, aux limites de l’abstraction qui touillent ces choses dérisoires. Ces motifs si éculés par leurs représentations qu’il n’en reste que les os à ronger.

Tout cela n’est que prétexte à faire encore et jusqu’au bout (j’ose à peine dire : à nouveau) de la peinture malgré ce temps détestable de sa disgrâce. C’est cela la force de résistance et l’incongruité de Michaël Weston. « Bon qu’à ça », répondait Samuel Beckett. Ces deux-là se sont sûrement croisés à la brasserie Zeyer à Alésia qu’ils fréquentaient assidûment. Ils y croisaient Bram Van Velde et ensemble mettaient « cap au pire » avec humour et légèreté comme si de rien n’était. Mais les trois savaient que la chose était grave.

La peinture, cette vieille carne qui n’en finit pas de mourir, elle est chez Weston en état de décomposition avancée mais toujours en vie comme le dernier souffle pour nous empêcher de crever. Des gestes peints au noir, qu’aussitôt affirmés il efface. Des tentatives de formes à peine dressées, qu’immédiatement il brouille. Des couleurs pimpantes comme au lever du jour, que la nuit éteint. Et tout cela se mêle, se fond et ainsi font de miraculeux petits drames quotidiens dans une peinture de gestes suspendus.

Weston ne supporte pas d’être lourd. Il lui faut arrêter le tableau dès qu’il commence à peser, à devenir encombrant et impoli. Il aime aussi séduire. Il a la même élégance des derniers bouquets de Manet que dans un même geste il peignait et offrait aux dames. Et pourtant, jamais peinture ne fut aussi dramatique !

Bref, cela fait des tableaux et c’est bien nécessaire, et original, dans ce temps de perpétuelle surenchère paniquée.

 

Alain Clément