Dans mon travail photographique, ma priorité est de rendre visible l’invisible, montrer l’indicible, aller à l’essentiel. Je ne peux imaginer cette approche autrement qu’avec patience, respect de l’autre et humanité. Ma relation avec le sujet est tout aussi importante que l’histoire racontée. L’intime est au cœur de ma démarche.
Dans la série « Liens », de sang et de cœur, je montrais le lien sensible qui nous unit. Et cette proximité passait déjà par le toucher. Puis il y eut « Les yeux grands ouverts », sujet sur le quotidien de mères non-voyantes : Comment regarder son enfant lorsqu’on ne le voit pas ? Ces femmes sont découragées d’emblée par leur entourage et le corps médical du fait de leur handicap. Je n’aurais pu arriver à ce degré d’intimité sans ce temps nécessaire de mise en confiance. Comment allais-je capter l’absence de regard ? Les images deviennent alors tactiles, presque organiques. Ce fil conducteur m’a conduite à cette série, « La peau de l’homme » qui transcende le sujet lui-même ; du réel, il parvient à l’universel. Depuis 2 ans, je viens très régulièrement au souk d’Aït Ourir, à 40 km de Marrakech. (vivant entre Le Maroc et la France , ce pays m’est familier). Ici, la foule est grouillante, et essentiellement masculine. Dans la société arabe, où les hommes sont habitués à garder le contrôle, rares sont les lieux où ils peuvent retirer leur armure sociale.
Il y a ce rituel, incontournable : le barbier. S’abandonner entre ses mains est un moment précieux, intemporel, presque « sacré ». Je me suis immergée dans ce monde – défi, en tant que femme occidentale – lentement, témoin de cette réalité du monde rural, précaire et austère. Progressivement, j’ai commencé à percevoir la vulnérabilité de ces hommes. C’est là que mon sujet a pris toute sa dimension. Une profondeur habite ces êtres, soudain mis à nu. La maîtrise n’y est plus. Hassan, le barbier avec qui j’ai tissé un lien privilégié, devient mon complice. Ses gestes sont précis, protecteurs, ses mains sont enveloppantes, presque maternelles. Je ne photographiais plus le barbier en train de travailler, mais une émotion plus profonde, plus intérieure. Au delà de la peau, de l’être...
Et ces hommes deviennent fragiles et calmes. A fleur de peau. Delphine Warin .
« Ce qu’il y a de plus profond en l’homme, c’est la peau. » (Paul Valéry)